L’un des tambours des Nehiyaw/Cris ne comporte qu’une seule tête et est utilisé par un seul musicien. Ses composants principaux sont un cadre en bois de bouleau et une tête en peau de cerf. Il produit une espèce de bourdonnement harmonieux. Ce ton fondamental recèle diverses harmoniques et les partiels inharmoniques (composantes qui ne font pas partie d’un ensemble harmonique, comme l’octave, la quinte, la tierce, etc.). Des cordes ou des collets d’ajustement tonal permettent de produire ce son unique, en vibrant contre le dessous du tambour.
Tina Pearson a observé et interviewé Albert Davis, Cri/Saulteau gardien des chansons des Premières Nations des Saulteaux de Moberly Lake, dans le nord-est de la Colombie-Britannique. Mme Pearson explique que les grands-parents cris de M. Davis, originaires du Manitoba, ont appris à Albert Davis à fabriquer les tambours.
Tout d’abord, M. Davis choisissait soigneusement un bouleau suffisamment humide à l’intérieur pour que le cadre du tambour puisse être plié pour former un cercle sans se briser. Le grain de l’arbre devait également composer un motif droit. M. Davis coupait le bois de la partie inférieure de l’arbre dépourvue de branches ou de nœuds. Avant les scies à chaîne, les artisans découpaient la bande de bois à l’aide d’une hache et de couteaux. En incluant l’écorce, la bande brute devait mesurer environ 1,5 m de long, 10 cm de large et 5 cm d’épais.
Davis réduisait ensuite la largeur à environ 7,5 cm à l’aide d’une hache. Il enlevait l’écorce jusqu’à ce que la bande soit réduite à une épaisseur d’environ 2 cm. Le bois le plus jeune était le plus facile à travailler. M. Davis menuisait de l’intérieur en écaillant les couches d’écorce lâches. Ensuite, il ciselait la sous-écorce brune sous-jacente, plus épaisse, jusqu’à atteindre la couche de cambium orangée. Il grattait le cambium pour exposer le jeune bois jaune pâle. Finalement, il plongeait la bande de bois dans le lac parmi les joncs pour la faire tremper toute la nuit.
Au bout de vingt-quatre heures, la bande de bois était gonflée d’eau. Plus épaisse, elle devenait aussi plus jaune. M. Davis rabotait des couches internes pour amincir la bande et en vérifier l’humidité. Il continuait à menuiser jusqu’à ce qu’il ait réduit la largeur aux 6 cm requis. Il rabotait ensuite la surface extérieure incurvée de sorte qu’elle se plie facilement.
Mme Pearson a écrit : « L’une des leçons de fabrication de tambour apprises par M. Davis dans son enfance est que le bois de bouleau doit être plié de sorte que la face externe du bois (côté écorce) forme la face externe du cerceau du tambour. Avec le bois de baume, c’est tout le contraire. » (Pearson, 1987 : 19.)
Pendant que M. Davis menuisait le bois, il chauffait un seau d’eau presque jusqu’au point d’ébullition : « Il plongeait une extrémité du bois dans le seau, puis il versait de l’eau sur toute la longueur de la bande à l’aide d’une louche. Il procédait ainsi environ cinq fois, puis il retournait la bande, plongeait l’autre extrémité dans le seau et versait cinq autres louches d’eau sur la bande. » (Pearson, 1987, 19.)
Ensuite, il commençait à plier lentement la bande en appliquant une pression douce et uniforme. Pour y parvenir parfaitement, M. Davis avait fabriqué un appareil spécial : une planche de 60 cm sur 1,8 m comportant une encoche carrée sur un côté, à environ 90 cm de l’une des extrémités. Il plaçait cette planche contre le mur de la cabane ou la posait sur deux chevalets de menuisier. M. Davis glissait la bande de bois dans l’encoche en commençant par une extrémité, puis la passait progressivement, par sections.
Après avoir passé toute la longueur de la bande, il répétait le geste en commençant par l’autre bout. Au cours de cette procédure, M. Davis écoutait attentivement. Son ouïe sensible et parfaitement réglée lui permettait de savoir s’il pliait la bande également d’un bout à l’autre. M. Davis répétait les étapes plusieurs fois tout en continuant à mouiller, raboter et plier, jusqu’à ce que le cadre forme un demi-cercle parfait.
Une fois cela terminé, il arquait rapidement les deux bouts pour compléter le cercle. C’était là une étape cruciale. Si la bande se cassait ou éclatait, il devrait la jeter et tout recommencer. Une fois cette étape réussie, M. Davis fixait rapidement les extrémités ensemble, en laissant les extrémités non façonnées se chevaucher d’environ 18 cm.
Davis serrait ensuite le joint entre une paire de petits bâtons assemblés avec de la corde à balles de foin.
Il plaçait les bâtons de part et d’autre de la section du cerceau de tambour où et les extrémités étaient superposées. Il ficelait les deux bâtons enserrant les extrémités qui se chevauchaient. Il plaçait deux pinces, une à chaque extrémité de la section superposée. Il attachait les bâtons ensemble aussi étroitement que possible afin que les extrémités de la section superposée arrivent pile.
Plus tard, une fois le cadre séché et figé, M. Davis découpait et limait les extrémités qui se chevauchaient jusqu’à ce qu’elles se fondent progressivement pour former un cerceau uniforme. Cependant, le travail n’était pas encore terminé, car le cadre était encore humide et sa forme n’était pas encore parfaite.
Davis mesurait le cerceau presque terminé à quatre points équidistants, puis marquait les endroits où le diamètre était inférieur au seuil idéal. Il ajustait le cercle au besoin en insérant des bâtons aux points appropriés, de manière à l’étirer pour former un cercle parfait. Lorsque le bois résistait, M. Davis travaillait le bois à nouveau en procédant à une nouvelle séance de trempage, de rabotage et de pliage. Lorsque son œil d’artisan était satisfait, M. Davis suspendait le cadre au-dessus du poêle à bois de la cabine afin de le laisser à sécher pendant environ quatre jours. Dans la description de MmePearson, le diamètre du cerceau était d’environ 42 cm.
Lorsque le cadre séchait, les pinces de fixation se desserraient et les bâtons correcteurs finissaient par tomber. Cela annonçait que le cadre était prêt pour les prochaines étapes. M. Davis limait alors les extrémités superposées à l’aide d’un couteau et d’une lime. Il rabotait ensuite le dessus et le dessous du cerceau. À l’aide d’un tournevis à cliquet et d’une mèche d’un huitième de pouce, M. Davis perçait six trous traversant les deux couches du bois au niveau des extrémités superposées. Autrefois, les artisans utilisaient une tige de fer chaude. Avant cela, les ancêtres de M. Davis fabriquaient des forets en bois dur, en pierre ou en os et les faisaient tourner dans une perceuse à main en bois activée à l’aide d’une corde.
Les anciens artisans utilisaient des bandes de cuir brut pour lier les trous. Certains traditionalistes le font encore. Cependant, ces bandes se brisent après quelques années d’utilisation. M. Davis insérait plutôt des rivets plaqués de cuivre à travers les trous et il martelait les bavures qui se formaient de l’autre côté. Cela permettait d’obtenir un cadre plus solide et plus durable.
Cependant, la technique de pose idéale de la peau consistait à la lacer. M. Davis perçait donc des trous d’un huitième de pouce autour du bord inférieur du cadre. Il les espaçait d’environ 5 cm, à environ 1,6 cm au-dessus de ce qui allait devenir le fond ouvert du tambour.
Davis se préparait ensuite à installer les cordes d’accord. Il perçait quatre trous, à 7,6 cm sous le dessus du cadre du tambour. Davis couplait ces trous à environ 2,5 cm l’un de l’autre, directement en face les uns des autres. « Les cordes d’accord sont fabriquées à partir d’une seule lanière de cuir brut étirée et torsadée (d’environ 1,15 m) » (Pearson, 1987 : 20.)
Si une paire de trous était considérée comme A et D, le côté opposé devenait B et C. L’extrémité de la lanière de cuir brut était passée à travers le trou A à partir de l’intérieur, tirée par-dessus le haut du cadre, puis passée à travers le trou B à partir de l’extérieur. M. Davis faisait passer cette extrémité de part en part de l’intérieur, vers le trou C. De là, il tirait la lanière vers l’extérieur, puis la faisait passer par dessus le haut du cadre afin de la lacer à travers le trou D, à partir de l’extérieur. Davis laissait les deux extrémités de la lanière suspendues à l’intérieur du cadre du tambour, vers le centre.
Le cadre était alors prêt à recevoir sa peau. Helen, la femme de M. Davis, avait déjà préparé une réserve de peaux.
Chez les Cris, ce sont encore généralement les femmes qui accomplissent cette tâche. « Après qu’un cerf a été tué, éviscéré et écorché, sa peau est trempée, écharnée, épilée, puis grattée » (Pearson, 1987 : 21.) Les femmes exécutent ces étapes comme leurs ancêtres l’ont fait pendant des milliers d’années. Ils font tremper chaque peau pendant un à quatre jours, puis la raclent et la rasent avec des outils d’écharnage fabriqués à partir d’os de pattes avants de cerf ou d’orignaux fixés à des lames en acier dentelées. Les femmes fixent les peaux au sol ou les étalent sur un cadre. Elles les épilent à l’aide des mêmes grattoirs. En règle générale, une grande peau, comme celle d’un orignal, nécessite le travail de deux femmes pendant toute une journée. Elles rangent ensuite les peaux destinées à la fabrication de tambours, ou elles les tannent pour en faire des vêtements.
« Les tambours cris sont fabriqués à partir de peaux humides qui sèchent et s’étirent sur le cadre des tambours. » (Pearson, 1987 : 21.) M. Davis coupait ensuite une pièce de cuir brut d’environ 1 m de diamètre. Il faisait tremper cette pièce toute une nuit dans une solution d’eau et de lessive qu’il avait obtenue à partir de cendre de bois ou de pains de savon de marque Sunlight. Il prenait un bassin du même diamètre que le cerceau du tambour, et il tapissait l’intérieur de ce bassin avec la peau mouillée. Les bords de la peau pendaient au-dessus de la bordure du bassin. M. Davis plaçait le côté supérieur du cadre du tambour sur la bordure du bassin. Ensuite, il repliait soigneusement les bords de la peau par-dessus les côtés du cadre. « La peau finira par sécher et s’étendre sur le cadre. S’il y a trop de peau qui pend du cadre, elle se plisse en séchant et la peau du tambour sera trop lâche. S’il n’y a pas assez de peau suspendue, elle séchera trop et le cadre pourrait se déformer ou même se briser sous la pression » (Pearson, 1987 : 21.)
Pour lacer la peau au cadre, M. Davis utilisait deux longueurs de ficelle en peau d’orignal. Avec un poinçon en métal, il poussait la ficelle à travers la peau, à chaque trou. Il laçait de manière à obtenir deux spirales autour du cercle. Il les faisait passer à travers les trous, puis il tirait chacune d’elles fermement. Après avoir complété le cercle, il nouait un nœud coulant multiple au premier trou et coupait les bords de la peau de manière à former une frange qui pendait d’environ 0,6 cm sous le lacis.
Ensuite, M. Davis laçait des lanières de cuir brut pour en faire un manche. Il sélectionnait quatre lanières de cuir brut non torsadées longues d’environ 1,15 m et légèrement plus épaisses que celles qu’il avait utilisées pour les cordes d’accord. En utilisant certains des mêmes 26 trous au bas du cadre, M. Davis laçait trois lanières à travers le centre du tambour. Il commençait par l’un des côtés des trous no 1 et no 14 percés dans la peau, là où il avait précédemment passé les cordes d’accord. À partir de l’extérieur, M. Davis rassemblait les extrémités des lanières au centre du tambour. Procédant de la même façon, il laçait les deux autres bandes en utilisant les trous no 6 et no 19 et les trous no 10 et no 23. Il rassemblait les six extrémités au centre. M. Davis y attachait les cordes d’accord et nouait le tout. Il suspendait ensuite le tambour à une poutre au-dessus du poêle à bois et l’y laissait pendant une nuit. Au fur et à mesure que le tambour séchait, la peau se contractait et s’étendait étroitement sur le cadre.
Lorsque le tambour était sec, M. Davis tirait les trois lanières en cuir brut qui allaient servir à fixer le manche, les attachait ensemble au centre et en coupait les bouts. Il utilisait une quatrième lanière de cuir brut pour former un manche. « En partant du nœud central, il enroulait la quatrième bande autour de chacune des trois lanières de cuir brut attachées, en exécutant des spirales vers l’extérieur, à partir du centre, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Il passait autour des lanières environ neuf fois. Il faisait ensuite un nœud pour obtenir une pièce centrale à six côtés destinée au manche. » (Pearson, 1987 : 22.)
Davis tirait les cordes d’accord (timbres) de manière à ce qu’elles soient bien serrées contre la tête du tambour. Il nouait les extrémités ensemble pour former un gros anneau dans lequel le joueur pourrait passer le pouce pour tenir le tambour. M. Davis sculptait ensuite une baguette dans du bois d’arbustes fruitiers de Saskatoon. Cette baguette d’environ 30 cm était légèrement incurvée et plus épaisse, à son bout frappant. « Les deux bouts étaient sculptés ronds, et il y avait deux petites entailles dans le bout frappant. » (Pearson, 1987, 22.)
Le tambour était terminé.
Pour obtenir le meilleur son possible, il se peut qu’un batteur doive répandre de l’eau sur la peau et la brosser avant de jouer. Normalement, le manche du tambour est saisi de la main gauche. Le batteur passe ensuite les cordes d’accord par-dessus son pouce. Lorsque les cordes d’accord ne sont pas engagées, le tambour produit son son de base, un son ronflant avec des partiels supérieurs faibles. Si le batteur fait vibrer les cordes d’accord contre le dessous de la peau, le son de base est amplifié et accompagné d’un bourdonnement d’une octave plus bas. Le nombre d’harmoniques dépend de la tension de la peau, du rythme et de la rapidité avec lesquels le batteur utilise la baguette et de la manière dont le pouce tire sur les cordes d’accord par rapport au rythme.
Au lac Moberly, on exécute une version de la danse ronde à la fin de l’automne à l’issue d’une chasse réussie ou d’une compétition gagnée. Pour cette cérémonie de célébration de victoire, les batteurs chauffent ou refroidissent leurs tambours pour les accorder à la perfection. Ensuite, les batteurs chantent, en se basant sur la tonalité de base à laquelle ils ont accordé leur tambour. Les chansons reposent souvent sur un rythme « long, court, long, court ».
Dans cette rythmique, le pouce tire les cordes d’accord sur le temps long et les relâche légèrement sur le temps court. Toute la richesse des harmoniques et des partiels se révèle au moment où les cordes sont relâchées, entre les temps… Frapper le centre du tambour produit plus de partiels harmoniques, tandis que les zones situées à la périphérie de la tête produisent plus de partiels non harmoniques, lorsqu’elles sont frappées. (Pearson, 1987 : 22.)